curiosités saturniennes 004
l'Ambition (ou ne pas en avoir), amours, amitiés et étoiles filantes à L.A., l'importance du décorum et musique pour ruelles la nuit.
un bon matin où je pensais pouvoir faire la grasse matinée, villeray s’est réveillée à 8h20. un de mes voisins perpétuellement frustré (ce sont deux frères, ça doit être de famille) s’est lancé dans un projet de démolition de son balcon. c’est ça l’affaire: les gens ont des projets assez motivants pour les mettre en place avant même que je n’aie pesé une première fois sur le bouton snooze de mon réveille-matin. des projets, des obligations, des idées, des ambitions. j’ai de tout ça, mais pas l’Ambition, pas celle qui me donne le feu éternel de la motivation inépuisable. la mienne se traduit par un amalgame d’envies, d’options qui me mettent face au dilemme du Choix — car un de mes problèmes est d’être intéressée par une multitudes de choses et capable de les réussir aussi — mais ce que je souhaite le plus, c’est mettre ma santé mentale de l’avant: être heureuse, nourrir mes amitiés, canaliser ma créativité (que ce soit par la peinture, la musique, la céramique ou l’écriture), manger, dormir et mettre ma crème de rétinol à tous les soirs. faire un peu ce que je veux dans le fond, tout en contribuant à mes REERs.
lecture du moment
Slow Days, Fast Company, Eve Babitz (1977)
après une enfilade de lectures médiocres, ça a été extrêmement rafraîchissant de lire Eve Babitz, cette autrice américaine étant aussi socialite dans le milieu artistique de L.A. des années 1970s. Slow Days, Fast Company est exactement ce que le titre propose. le lifestyle californien de Babitz la transporte à la plage, à des fêtes où elle rencontre plusieurs étoiles filantes du paysage hollywoodien de l’époque, entremêlant les récits de ses courtes et plus ou moins durables fréquentations.

je suis tombée en amour avec New York du haut de mes 12 ans et je n’ai jamais regardé en arrière. chaque mention de L.A. renforçait ma perception négative de cette ville plus large que haute où les voitures l’emportent sur le transport en commun, où les femmes se retrouvent pour des partys burgers & botox, et où les rêves vont pour mourir. mais Eve Babitz a réussi à renverser ma vision de Los Angeles, chaque chapitre de son livre se déroulant dans un différent quartier aux côtés de multiples personnages éphémères. un chapitre particulièrement marquant est celui où Babitz relate sa relation par proxy à l’héroine, observant les ravages que celle-ci porte sur son entourage — une Janis Joplin flottant dans une piscine, la peau grisâtre, une semaine avant sa mort et tout un passage spécialement touchant sur la destinée de celle-ci.
Women are prepared to suffer for love; it’s written into their birth certificates. Women are not prepared to have “everything”, not success-type “everything.” I mean, not when the “everything” isn’t about living happily ever after with the prince. […] There’s no precedent for women getting their own “everything” and learning that it’s not the answer. Especially when you got fame, money, and love by belting out how sad and lonely and beaten you were.
bien que le livre ait été écrit il y a presque 50 ans, l’écriture de Babitz est hyper contemporaine et fascinante. il n’y a que les quaaludes qui trahiront l’âge de Slow Days, Fast Company, que je vous recommande chaudement.
visionnement marquant
Les glaneurs et la glaneuse, Agnès Varda (2000)
je suis 1000% une glaneuse. à l’origine, les glaneurs et les glaneuses sont ceux qui allaient dans les champs pour ramasser les légumes délaissés par les agriculteurs, jugés comme trop laids ou inadéquats pour être vendus. c’est un peu comme faire du dumpster-diving, comme Varda le présente dans son documentaire. c’est aussi comme ramasser des déchets dans la rue pour en faire des collages, trouver une chaise sur le trottoir pour sa salle à manger, ou chérir une brique qui faisait partie de la maçonnerie de la maison de votre enfance (coupable).

Dans Les glaneurs et la glâneuse, Varda s’insère et réfléchit sur le passage du temps, montrant ses mains ridées et sa repousse de cheveux emblématique. elle va à la rencontre de plusieurs personnages dans un récit très anecdotique des glaneurs et des glaneuses modernes, certains subsistant sur des quantités impressionnantes de persil. je vous parle de ce film parce que malgré plusieurs ingrédients qui auraient dû se combiner pour créer quelque chose que j’aime — les chats, les patentes, la beauté dans les déchets, les vraies personnes aux personnalités colorées et aux philosophies hors-norme, l’art et sa comparaison à la réalité —, je n’ai vraiment pas accroché. puis, je me suis questionnée pour mieux comprendre pourquoi. je me suis souvenue qu’en lisant How Music Works de David Byrne, un passage assez élaboré est dédié à l’importance de la manière dont on écoute la musique: est-ce que c’est dans nos écouteurs, à partir d’une plateforme de streaming, en travaillant? ou est-ce que c’est sur vinyle, sur des haut-parleurs high-tech, entourés de ses amis? ou est-ce que c’est un CD dans une station d’écoute trouvée au HMV, branchée magiquement vers votre petit speaker bluetooth? est-ce le jour, la nuit, êtes vous fatigué.e., mourrez-vous de faim? vous approchez-vous de l’album ou du film que vous allez consommer à reculons?
je ne veux pas discréditer Varda pour son film, ni son œuvre. il doit bien avoir une raison pour laquelle BBC a inclus Les glaneurs et la glaneuse sur sa liste des 100 films les plus marquants du 21e siècle. peut-être simplement que de l’écouter seule un matin après avoir snoozé et en mangeant des toasts au beurre de peanuts sur pain à la cannelle et aux raisins pour le 10e jour d’affilée n’était pas le bon décorum pour favoriser mon appréciation d’un documentaire qui aurait dû me plaire.
sur repeat
Album: Nightclubbing - Grace Jones (1981)

vous êtes au bar avec vos ami.e.s qui connaissent votre vie par cœur. ce soir, vous ne saviez pas trop quoi faire, la ville est monopolisée par un événement que vous préférez éviter. surement un truc du genre: courses de char, pollution, métro bondé. vous êtes à ce bar, là où les gens vont pour voir et se faire voir. vous ressentez un certain mépris face à cette idée, même si vous en êtes tout autant coupable. personne dans les alentours n’est assez à votre goût pour que vous puissiez même vous imaginer aller leur parler. vous commencez à vous demander pourquoi vous êtes là, pourquoi vous buvez, si ce n’est que du fait que vous ne tolérez pas l’idée de rester seul.e un vendredi soir. il n’est pas encore 2AM, mieux vaut conserver votre foie et vos heures de sommeil. avant que votre portefeuille se soit vidé, vous décidez de mettre fin à une soirée qui ne vaut pas la peine d’étirer. dehors, il fait chaud et humide, le ciel ne s’est jamais décidé s’il voulait faire beau ou laid aujourd’hui. vous allumez une cigarette, l’air est lourd. vous marchez un bloc, croisez ces jeunes de 22 ans, vêtus des shorts de basket les plus longs que vous n’avez jamais vus et de chapeaux militaires. les rues sont encore luisantes d’une pluie presque tropicale qui vient de tomber sur la ville. à la lumière, vous observez les reflets qui passent du rouge au vert sur l’asphalte, sur les bottes en PVC et manteaux de cuir des punks devant l’Esco. vous prenez le long chemin vers chez vous, en passant par des ruelles. ça vous permet d’épier les appartements de ceux qui ne dorment pas encore et qui n’ont pas investi dans l’achat de rideaux. c’est l’heure où les chats de bonne famille aiment s’amusent à jouer aux chats de ruelle, ils sont occupés à ratisser leur territoire pour leur ronde de nuit. peu d’entre eux se laissent approcher. votre voisin qui vit dans un demi sous-sol a encore réorganisé son studio, sûrement pour optimiser son set-up de streaming sur Twitch — c’est les lumières LED mauves et bleues qui vous ont mis la puce à l’oreille. une petite bruine commence à se faire sentir sur votre peau, et même s’il ne fait pas froid, le contact des gouttelettes vous donne la chair de poule, sans doute par combinaison de l’alcool qui s’estompe de votre sang. vous montez doucement les marches de votre appartement, trouvez vos clés. en 38 minutes 40 secondes, vous êtes rendus chez vous — vous auriez pu écouter l’entièreté de Nightclubbing, mais de toute manière votre soirée aura eu le même effet.
si Slow Days, Fast Company est une semaine à L.A., Nightclubbing est une nuit à NYC. synthés, échos raggae, mystère, style et bottes luisantes.
recommandation pour votre lifestyle
ma coiffeuse et moi, on jase de plein d’affaires. à force de venir faire trimmer mon toupet et rafraichir ma coupe, on est devenues amies. je me rappelle d’une conversation que nous avons eue, justement, sur l’Ambition. sur la pression sociale de la Réussite, celle qui nous est dictée. celle qui est comme une recette — les études, la carrière, le couple, maison, bébé, vieillesse paisible. l’argent. c’est bien, mais ce n’est pas nécessairement ce qui convient à tous. c’est une chose de le remarquer, c’en est une autre de le reconnaître à propos de soi-même.
au-delà de la performance, du travail chevronné et de la Réussite, je pense que la vraie force, c’est rester intègre, nourrir son intérieur et ne pas oublier de s’écouter. un peu d’hédonisme n’a jamais fait de mal à personne!

bonne semaine,
mathilde
xoxo
recommandation: lire le paragraphe au sujet de nightclubbing en écoutant cette chanson... on s'y croirait